Pourquoi je m'étais senti obligé, durant l'émission "28 minutes" sur ARTE, d'évoquer le meurtre de Sarah Halimi - douzième victime de la vindicte islamiste à l'encontre des juifs en France depuis 2003 

 

Initialement, on pouvait accéder ici à la vidéo en mode "replay" de cette émission. Mais, bizarrement, cette vidéo a été rendu rapidement "indisponible". Il est vrai que mon évocation du meurtre de Sarah Halimi avait déplu à la journaliste d'ARTE, Elisabeth Quin, qui avait dirigé le débat et qui m'avait immédiatement rabroué pour ma prise de position.

 

Plusieurs personnes m’ont contacté pour approuver ma brève prise de parole concernant Sarah Halimi lors de l’émission « 28 Minutes » sur la chaine ARTE le mercredi 5 juillet 2017. Parmi les sujets prévus dans le tracé de l’émission figurait le destin de Simone Veil. Dans ce contexte je m’étais senti obligé de mentionner le récent meurtre de Sarah Halimi, une femme juive de 65 ans, à Paris dans le quartier de Belleville que je fréquente régulièrement.

    Depuis des semaines déjà des voix s’étaient élevées contre la réticence de la plupart des médias français d’appréhender l’évidence : que l’assassin, qui avait torturé et battu à mort Sarah Halimi dans son appartement dans la nuit du 3 au 4 avril, avait ciblé sa victime en tant que juive. 

     A la mi-juillet la situation semblait évoluer. Au point que le président de la république avait pris position. Lors de son discours pour la commémoration de le Rafle du Vel d’Hiv le 16 juillet Emanuel Macron avait déclaré : « Malgré les dénégations du meurtrier, la justice doit désormais faire toute la clarté sur la mort de Sarah Halimi ».

    En ce qui me concerne, j’avais été mis au courant de ce meurtre, début avril, grâce à des sites juifs sur le web. Cela m’avait permis d’assister à la marche de deuil avec environ un millier de participants à Belleville, vers le domicile de Sarah Halimi, le 9 avril. Je m’étais alors étonné de l’absence de toute couverture de cette marche blanche de la part des medias audiovisuels français. 

    Mais je comprenais et partageait, dans un premier temps, disons entre avril et la mi-mai, la volonté de ne rien précipiter avant d’en savoir plus sur le déroulement des faits, leur contexte et la personnalité de l’assassin. Ce qui justifiait une certaine retenue mais pas un black-out presque complet.

     Il est vrai que deux fois par le passé des responsables politiques et des médias français s’étaient précipités pour dénoncer des actes anti-juifs qui, par la suite, s’était avérés être des pures inventions – même si dans d’autres cas autrement plus graves, c’est-à-dire des meurtres, des responsables de la police et de la justice, ainsi que des commentateurs avaient négligé la haine anti-juive comme élément moteur de ces crimes, ou s’étaient efforcés de diluer ce motif, pourtant manifeste, dans des généralités sur la criminalité et des observations à prétention psychologiques et sociologiques.  

    Mais lors de l’émission sur ARTE, le 5 juillet, nous disposions au sujet du meurtre de Sarah Halimi déjà d’une quantité impressionnante d’informations fiables : les témoignages concordants et clairs de voisins (et amis de la famille du meurtrier), recueillies par la police et résumées notamment dans un reportage de Rosenn Morgan paru dans « Libération » le 7 juin (article pourtant très mesuré, puisque « Libération » avait titré : « Démence ou antisémitisme ? » comme s’il s’agissait de deux attributs qui s’excluraient réciproquement).

    Ces témoignages confirmaient que le meurtrier, Kobili Traoré, 27 ans, déjà plusieurs fois condamné pour violences aggravées et très agité ce jour-là, s’était d’abord rendu dans la mosquée de la Rue Jean-Pierre Timbault (haut lieu du rigorisme islamique et qui avait par le passé servi comme point de ralliement à des filières djihadistes). Que Kobili Traoré avait plus tard, après une dispute avec sa famille, pénétré dans l’appartement de voisins et amis de sa famille. Que ceux-ci avaient pris peur face à son agitation, s’étaient barricadés dans une autre pièce et avaient appelé la police. Que Traoré s’était ensuite, selon les dires de ces mêmes voisins et amis, livré à des incantations religieuses dans leur appartement. Et qu’après cela, il avait escaladé un balcon pour parvenir dans l’appartement de Sarah Halimi, situé dans un immeuble mitoyen. Qu’il avait donc dû effectuer une démarche compliquée de nuit,  pour pouvoir surprendre Sarah Halimi en plein sommeil, la torturer, la battre à mort et la défénestrer. Puisque Traoré (comme le restant des voisins) connaissait sa victime depuis longtemps en tant que juive pieuse, et qu’il l’avait désigné devant témoins à plusieurs reprises comme « Sheitan » (diable en arabe), on peut logiquement en déduire que sa hargne meurtrière ne s’était pas abattu par hasard sur Sarah Halimi. 

    A partir de là, je n’avais pas d’autre choix que d’évoquer l’assassinat de Sarah Halimi durant la discussion sur ARTE. En toute bonne foi, je ne pouvais pas me joindre au concert de louanges – par ailleurs justifiés – pour Simone Veil en tant que survivante juive passée par les camps d’extermination nazis, et en même temps, faire l’impasse sur la haine meurtrière d’inspiration islamiste à laquelle sont exposés – du moins ponctuellement et par endroits – des juifs en France.  

    Sarah Halimi est  la douzième personne tuée en France suite à la vindicte islamiste à l’encontre des juifs depuis 2003 – si l’on inclut, et cela va de soi, la policière Clarissa Jean-Philippe, abattue à proximité d’une école juive en à Montrouge par Amedy Coulibaly le 8 janvier 2015.  

    Le lendemain, Amedy Coulibaly, partisan déclaré d’Al Kaida,  allait attaquer « l’Hypercacher »  de la porte de Vincennes à Paris et y tuer quatre otages. Egalement partisan d’Al Kaida, Mohammed Merah avait en mars 2012 abattu trois enfants et un enseignant dans une école juive de Toulouse, après avoir tué auparavant trois militaires.

    La même année, en septembre 2012, deux membres de la filière djihadiste connue sous le nom de « Cannes-Torcy », Jeremy Bailly et Kevin Phan, avait lancé une grenade dans une Superette cachère à Sarcelles. Même si par miracle cette attaque avait fait qu’un seul blessé, on peut estimer que Bailly et Phan incarnent, aux cotées de Merah et de Coulibaly, l’aboutissement d’un processus : les harceleurs de proximité, plus ou moins violents, qui avaient tourmenté dans certains quartiers leur voisins juifs, avaient fini par engendrer des vocations de tueurs armés et organisés en cellules djihadistes.

    Leur prédécesseur, Youssouf Fofana, avait, à la tête d’une petite bande séquestré et torturé à mort Ilan Halimi en 2006. Déjà Fofana s’était défini comme « combattant arabe et musulman » en lutte contre « les juifs ».

    Beaucoup moins connu est le meurtre commis sur Sébastien Selam, qui remonte à novembre 2003. Ce jeune juif de 23 ans fut égorgé par un ami d’enfance musulman dans une résidence HLM du dixième arrondissement de Paris, non loin du domicile de Sarah Halimi. Apres avoir défiguré le visage de sa victime à l’aide d’une fourchette, l’assassin hurla devant témoins : « J’ai tué un juif, j’irais au paradis ». Aux policiers il déclara : « C’est Allah qui le voulait ».  
   
Ce meurtre nous ramène à l’assassinat de Sarah Halimi à cause de la personnalité du tueur. Celui-ci venait d’être libéré en 2002 d’un internement d’office dans un hôpital psychiatrique. Après l’assassinat de Selam, une expertise avait à nouveau conclu que l’assassin souffrait d’une « schizophrénie paranoïde » ce qui le rendait pénalement irresponsable.
     Il ne s’agit pas ici de contester cette expertise. Et à la différence du meurtrier de Sébastien Selam, l’assassin de Sarah Halimi, Kobili Traoré, n’a jamais été diagnostiqué auparavant comme souffrant d'une maladie mentale. Mais suite au meurtre de Sarah Halimi il a bien été interné dans une institution spécialisé. Dans un premier interrogatoire il a d'ailleurs prétendu, s’être senti « comme possédé » lors de son crime, et d’avoir agi dans état second.
     Ce qui rapproche donc ces deux cas, du moins en termes d’analyse politique, c’est qu’il s’agit de personnes à la fois fragiles et menaçantes qui avaient été en contact avec un environnement gorgé de haine anti-juive, perpétuellement alimentée par le discours politico-religieux islamiste. Celui-ci pousse justement des individus en déshérence sociale et psychologique à commettre l’irréparable. N’est-t-il pas dans la logique de mouvances totalitaires d’attirer, d’entrainer et d’encourager des personnes déjà en rupture avec les codes sociaux communément admis ? Ou, pour le dire encore plus simplement : comment imaginer que des idéologies démentielles, tel que le totalitarisme islamiste, ne trouvent pas des exécutants-précurseurs « délirants » ? Et donc, à quoi cela peut-il rimer de vouloir opposer « antisémitisme » et « manque de discernement » pour appréhender la dimension politique d’un tel crime?
     Au nombre de ces attaques à la croisée de la folie (au sens commun et non-psychiatrique du terme) et du fanatisme islamiste, on peut également citer la tentative de meurtre sur un enseignant juif portant la kippa, en pleine rue à Marseille en septembre 2016  par un adolescent de 15 ans. Cette attaque à la machette avait échoué in extremis grâce au cartable de l’enseignant qui lui avait servi de bouclier et de l’intervention d’un passant courageux qui avait mis l’agresseur en fuite. Ce jeune, issu d’une famille kurde de Turquie, avait déclaré agir en résonance avec les appels de « l’état islamique » vus sur la toile.     
    
Ce dernier exemple est à rapprocher, entre autre,  du cas d’Adel Kermiche, 19 ans, qui avait égorgé le père Jacques Hamel, 86 ans, devant l’autel de l’église de Saint-Etienne-du-Rouvray en juillet 2016. Pourtant, la famille Kermiche s’était efforcée depuis longtemps de contrer la dérive djihadiste d’Adel. Au même titre que de nombreuses autres familles musulmanes qui s’étaient clairement opposé à l’intégrisme, sans pour autant pouvoir empêcher l’adhésion d’un de leurs membres au djihadisme. Ce qui permet de conclure, haut et fort, que la  population dite « musulmane » n’est pas en cause dans la montée des violences djihadistes mais bien un vaste courant issu de la sphère politico-religieuse de l’Islamisme.  Et que les victimes juives, ciblées en particulier par cette mouvance, méritent d’être relevées en tant que tel et au même titre que toutes les autres victimes des tueries djihadistes – ni plus, ni moins.                                                                                                                                                                 

                                                                                                                                 Danny Leder, 18/7/2017